L’ENFANCE A LA FERME
Bon ! Moi je suis né à Dijon en 1946, d’une famille de 8 enfants.
Ma marraine, Marguerite (née en 1915), fille Gaure de Remilly, avait une chambre dans la maison où on est né. Elle avait un poste formidable de fonctionnaire à la Cité Dampierre, et un sacré caractère, fallait pas la titiller !
A l’époque, une femme célibataire ne restait pas seule le weekend, alors elle rentrait à la ferme dans son village, à Remilly, et elle m’emmenait avec elle.
On prenait le bus, un Citroën, station Foch, on descendait à Mesmont, et on venait à pinces ! Ça faisait bien 2km, mais bon, on était habitués ! On longeait les Vesvres, on descendait la Chassignole, et on arrivait au Moulin ; ça vous dit quelque chose tous ces noms-là ?! Et de tout petit, je suis venu à Remilly. Comme j’étais pas trop bon à l’école, j’ai passé une année complète à la ferme, vers 13-14 ans. J’allais en cours d’agriculture à Sombernon avec le Lili, le François Laborey, tous en vélo, et on revenait par le Trembloy. L’hiver, il y avait de la neige haut comme ça ! Il y avait aussi l’Yvon, et le Jeannot (qu’est-ce qu’il est devenu, le Jeannot ?) et la Marie du Moulin (une vraie douceur, cette fille-là).
Y avait pas trop d’activité, on faisait le tour des fermes, on discutait… y avait pas de loisirs, et puis il fallait bosser. Une fois que mes vaches étaient au pré, le soir, quand je voyais sa petite loupiote, je venais causer 5mn avec Marie qui trayait les vaches.
Gaston (né en 1902), c’était lui qui tenait la ferme, le père de Marie-Thérèse (Doret). Il avait 2 sœurs : Marguerite et Madeleine (mariée avec un agriculteur de Champdoiseau).
La femme de Gaston, c’était Joséphine, une fille Briottet de la Chaleur.
Les vaches étaient tondues à la sortie de l’hiver, sûrement pour l’hygiène, je ne sais pas, avec un espèce de V sur la tête, depuis les cornes, la colonne vertébrale et jusqu’à la queue, une ligne large comme ça, et il laissait juste le bout de la queue.
Les chevaux étaient étrillés, soignés, les vaches frottées. Le Gaston, il prenait soin de ses animaux, je me souviens bien du grand cheval noir, imposant (Brutus).
Le bourrelier de Sombernon venait un jour par an pour réparer les petits accrocs, les baudriers, il poinçonnait, recousait, les harnais étaient cirés.
Tous les samedis, le Gaston balayait la cour, y avait pas un brin de paille qui trainait !
Bien sûr, il y avait le tas de fumier. C’est bien simple, ça commençait en bas chez les Gaure, le tas de fumier, après on montait vers chez les Corniau, hop le tas de fumier, devant chez l’ancien maire, Derepas, y avait le tas de fumier, après les Derepas-Gallemand pareil, y avait toujours un tas de fumier, et chez les Jaxon, pareil ! Tous les ans, le jour du fumier arrivait, on allait chercher le tombereau, hop, ils allaient vider ça dans les champs, puis ils allaient chez quelqu’un d’autre…
Les vaches, que des laitières, étaient partout, elles sortaient de la ferme, et poum, bam, chiasse ! c’était comme ça !
Les foins, les moissons, les vendanges, le battoir, tout ça, moi j’aimais bien, c’était la campagne, la communauté. Bien sûr, des fois, il y avait des frictions, parce qu’un chien avait mordu les vaches de l’autre etc. Tout était au rythme des bestioles (les vaches, les chevaux, les poules, les lapins…), des saisons, du temps. A l’époque, il n’y avait pas encore de tracteur.
Les prés n’étaient pas clos, alors on allait garder les vaches. Le matin, les vaches venaient, pas besoin de les appeler, et puis le soir, on les mettait dans un pré à côté pour la nuit.
Vers les 5-6h du soir, elles se mélangeaient, elles étaient toutes ensemble. Et elles retrouvaient toujours leur place dans l’écurie.
Moi j’ai jamais traie les vaches, la mère Gaure oui, à la main, ça faisait des bures de lait…
A un moment, ils avaient organisé un collecteur à lait vers le pont.
Puis après, chaque ferme a eu son container, puis les trayeuses électriques. Ça faisait un bruit, c’était infernal ! Ça leur a soulagé la vie quand même, parce que, traire les vaches, c’est matin et soir.
Les tâches étaient bien séparées : le Gaston, il arrivait à table, il s’installait, et il ne bougeait plus du tout jusqu’à ce qu’on le serve ! Sa mère habitait avec eux, sa place était devant le poêle, elle parlait patois. Et puis quand c’est le Gaston qui a été vieux, c’est lui qui était devant le poêle, il mettait ses pieds devant, comme ça !
Dans la cuisine, il y avait la table, la cuisinière, et une autre petite table sur le côté. Le Gaston se mettait là, toujours, Marie-Thérèse, sa fille, au bout et le gendre Michel, moi à côté. Mais la mère, Joséphine, et Marguerite aussi, mangeaient sur la petite table à côté. C’était comme ça, elles servaient, je ne sais pas.
Parfois, Marguerite s’emportait, elle partait en claquant la porte. C’était une maîtresse-femme, fallait pas lui en promettre !
Le Gaston avait une faucheuse avec 2 chevaux, il coupait, laissait sécher. Après, c’était souvent la mère Gaure, Joséphine, qui se mettait sur la rateleuse, et elle faisait des andins. Ils attrapaient la fourchée de foin, l’enroulaient comme ça, et hop, ça faisait un carré parfait, c’était incroyable, ils maitrisaient vraiment le geste.
Ça faisait des voitures de foin qui se cassaient pas la gueule. Parce qu’attention, les chemins n’étaient pas en bon état, et les roues étaient en grosse ferraille.
Ils étaient très modernes à Remilly parce qu’ils avaient fait installer tout un système de griffe avec un rail au-dessus, un treuil dans la cour, et un gars au-dessus éparpillait partout dans le fenil, et ça allait vite. Les autres faisaient ça à la fourche. C’était sportif ! Notre commis s’appelait Marius, chez les Denuit, c’était Virgile.
Pour les moissons, ils faisaient d’abord un passage à la faux, tout autour du champ, pour faire passer les chevaux, et puis on mettait les bottes en tas, comme ça, et quand c’était sec, on venait avec la voiture, et hop, la lieuse.
On stockait tout le blé au-dessus de la grange en face de chez les Doret, et l’automne, ils mettaient le battoir en-dessous (il doit y être toujours à mon avis !)
Y avait du monde, le jour du battoir, ils recrutaient même les gens de la Chaleur.
Moi, j’étais sur la tisse (le tas de gerbes de blé), à détisser, et l’autre sur le battoir, coupait la ficelle, écartait le blé, et le glissait dans le battoir. Engrainer, c’est mettre le grain dans le battoir. On n’avait pas de gant, on avait les mains ravagées, avec les chardons et tout… D’autres s’occupaient de la paille, de la brosse (?) qui était stockée aussi, la courroie du moteur électrique du battoir faisait au moins 5m de long, ça faisait une poussière infernale !
Le blé était stocké dans des sacs de 100kg, les gars portaient ça dans le grenier, vidaient le sac pour l’étaler sur un parquet, le sécher, puis au printemps, une fois bien séché, ils le vendaient bien à la coopérative (le long du canal), c’était du blé de super qualité, attention !
Le Gaston avait un petit battoir, on faisait ça en 2-3 jours. Alors qu’à la Chaleur (la famille de Joséphine), ils louaient un énorme truc, et tout était fait en une journée. Le soir, on était lavés hein !
Les paysans avaient un impôt communal : ils devaient refaire les chemins, ça s’appelait … une ou deux journées, ils jetaient un tombereau de tuile, de remblai… du moulin à Grenant, l’eau ruisselait, y avait des trous comme ça ! Maintenant, ils ont fait une route incroyable, c’est bien.
On disait que le vent de Grenant, c’était le vent de la pluie… si c’était le vent de Grenant, ça voulait dire que le lendemain, ça allait tomber.
Je me rappelle du 1er tracteur du Michel Doret, un petit Massey Ferguson, qui doit toujours être sous un hangar à Agey, on l’appelait le petit gris. C’était un vrai bonheur de monter dessus, c’est comme ça que j’ai appris à conduire.
L’étalonnier venait pour saillir les juments. Dès que la jument était en chaleur, il venait avec son étalon, à cheval dessus, et hop ! Les enfants étaient écartés de l’opération, c’était spectaculaire !
Tout le monde faisait son vin à cette époque. Les vignes étaient situées en montant vers l’église (derrière la grange des Bussière), ah c’est sûr ! c’était pas du Romanée Contie, ça accrochait un petit peu… mais tout le monde avait 2 pièces, ça faisait le vin de l’année.
Les Denuit faisaient du vin gris, sacrément bon, une espèce de rosé qui tapait fort… Le soir, on faisait le tour du pays, on trainait quoi ! Alors le Roger sortait le vin gris, pour nous saoûler… il y arrivait, des fois ! Quand il y avait des fêtes, on buvait du mousseux, même les gamins.
On est jamais mort de faim, ça c’est sûr. Il y avait aussi un grand et beau jardin derrière la maison, il l’a fait longtemps, le Gaston, son jardin.
La Forge, c’était exceptionnel : le forgeron était un vieux célibataire bourru, il attachait le cheval sous l’auvent, il ferrait les chevaux, une vraie fête !
LES FETES
Les fêtes : c’était le menu d’abord : le repas était cossu, avec le poulet, le gigot, les bouchées à la reine, la marraine qui faisait 50 tartes…
Quand ils tuaient le cochon une fois par an (150kg de viande !) c’était l’occasion d’inviter les gens du battoir, c’était la solidarité, on échangeait les services. La sœur de Joséphine était mariée avec un boucher, alors c’était lui qui s’occupait des cochons de la famille.
On allait au bal, et maintenant, quand j’y pense, je me dis que c’était peut-être pas si terrible… ! L’accordéon jouait des valses, des tangos, tout ça, mais nous, les jeunes, on ne dansait pas. Et puis à 21h30, tout le monde au lit !
On allait aux fêtes à Agey, Mesmont, Sombernon. A Sombernon, chef lieu de canton, les gars buvaient des blancs limés, ça les énervait, alors il y avait des bagarres, parfois sérieuses… c’était à cause des filles bien souvent ! C’était le 15 août, la fête à Sombernon.
Les dimanche, interdiction de travailler, c’était messe obligatoire, immuable ! Je passais derrière chez Jaxon, je prenais le petit chemin pour aller jusque derrière l’église, on entrait par le côté, la petite porte, les femmes dans le choeur, et tous les hommes étaient dans la partie gauche (la chapelle des hommes). Tout le monde venait, à part les va-nus-pieds, les commis qui achetaient 2-3l de vin chez la Ninie, et allaient se piauner un petit coup !
Le Gaston lavait sa traction le dimanche, pour aller faire le beau à droite à gauche. Il l’avait achetée dans les années 50, c’était une sacrée belle bagnole, à cette époque-là ! Il allait à Sombernon de temps en temps, mais en 70 ans, il a fait 50000km… elle a servi quand la fille de Christine s’est mariée, Anne-Charlotte.
LES COMMERCANTS
Ah ! la Ninie, elle s’en est fait voler, ben oui ! Il y avait les étagères avec les fruits, les légumes, et puis une vitrine avec du tabac, des feuilles, des Gauloise, et le temps qu’elle revienne tac ! Elle se faisait piquer un paquet de cigarettes !
Elle était très économe, avec une petite lampe au dessus de la caisse, au fond. Il y avait une sonnette au-dessus de la porte, alors le temps qu’elle arrive, ça prenait du temps ! T’avais besoin de quelque chose, t’allais chez la Ninie ! Les sabots, les boissons, dans le couloir derrière, la limonade, les jus de fruits… le Nénesse, son mari, était plus vieux qu’elle.
Le boucher, Jean Legros, venait 2 fois par semaine, il mangeait chez elle, il servait les gens, dans un tube Citroën. C’était pas réfrigéré ! Mais quand même, c’était du matin. C’est sûr qu’il se lavait pas trop les mains, il achetait des lapins à Joséphine, et juste après, il lui vendait du poisson (oui, le boucher vendait aussi du poisson) hop comme ça… pas de gel hydroalcoolique à l’époque !
Le boulanger venait de Ste Marie avec une carriole à cheval, une ou deux fois par semaine, parfois à 10h du soir !
Gamet venait vendre des chaussures, et peut-être des habits aussi. C’est fini, tout ça, eh oui, SuperU, il vend tout ce qu’il faut, hein…
LA CLIQUE DES HURLE-VENT
C’est l’inséminateur qui avait créé la Clique des Hurle-Vent à Sombernon, alors tous les jeunes (les garçons) se retrouvaient à Sombernon en vélo. Moi je jouais du clairon. On était brut de décoffrage, alors la musique, ça nous passait au-dessus ! Mais même s’il était à moitié fou, il avait bien manoeuvré pour nous faire jouer, c’était quelque chose, la Clique. On allait aux répétitions même l’hiver, dans une grange. Parce que pour sortir des sons, c’était pas facile ! On était invités à claironner dès qu’il y avait une fête de village : « Louis XIV », des morceaux de la garde républicaine, des morceaux de clique.
L’inséminateur avait récupéré une 403 camionnette, il nous montait là-dedans et il roulait à 140 sur les petites routes ! Surtout pas de fille, ouhla, les filles, c’était le diable, c’était fou ! On avait un calot, un pantalon beige, une chemise, on répétait le soir je crois bien.
DOMINIQUE A GRANDI
J’ai fait une école de mécanique, puis l’armée, alors j’ai eu tous mes permis, puis j’ai rencontré une demoiselle habile pour la compta et la gestion (Josiane!), et on a fait une entreprise de transport tous les 2. On s’est mis à notre compte, on a eu jusqu’à 7 camions, des chauffeurs de partout.
On a emmené nos enfants à Remilly, bien sûr, on leur a même fait couper les chardons… ils s’en souviennent encore !